16 avril 2012

Quel outil pour tracer une VSM ?

Par Xavier Perrin (xperrin@xp-consulting.fr)

Pour rappel, une VSM (Value Stream Map) est une représentation graphique (carte) des flux physiques et des flux d'informations relatifs à un "flux de valeur". On utilise le même acronyme pour désigner le processus de cartographie du flux de valeur (Value Stream Mapping). Dans cet article, je désignerai le résultat du processus, la carte donc, par la VSM, et le processus de cartographie par le VSM. Le flux de valeur est constitué par l'ensemble des étapes traversées par le flux physique. Certaines de ces étapes transforment la matière et contribuent ainsi à créer de la valeur pour le client. D'autres ne sont pas créatrices de valeur. Le but de la cartographie du flux de valeur est d'identifier ces dernières afin d'imaginer les solutions qui permettront de les éliminer ou de les réduire, permettant de ainsi de réduire les délais, les stocks et d'améliorer la productivité.

Dernièrement, un confrère et ami m'a parlé d'une startup avec laquelle j'aurais éventuellement pu collaborer pour développer une solution innovante pour réaliser des VSM. La startup en question proposait "des solutions de tracking de flux in-situ, d’identification en temps réel d’anomalies de flux, basées sur un data-warehouse multidimensionnel stockant des données en provenance de capteurs de radiofréquences permettant de localiser des contenants ou ressources logistiques mobiles…". Le concepteur considérait que "de telles solutions étaient tout indiqué pour construire des VSM, permettant ainsi de "piloter l'amélioration continue".

Ma réaction fut catégorique : j'étais totalement réfractaire à l'idée de collaborer à un tel projet ! En effet, le VSM est un outil formidable. C'est une technique que j'utilise régulièrement en intervention chez mes clients. Je prends toujours un très grand plaisir à animer un groupe de travail pour faire cet exercice : c'est une expérience passionnante et Ô combien enrichissante. Observer un groupe de personnes en train de découvrir, à partir d'observations sur le terrain (gemba), le flux auquel elles contribuent depuis des années pour la plupart, voir leur étonnement lorsqu'elles découvrent de quoi est constitué le temps de passage de leur atelier, leur enthousiasme quand elles réalisent les progrès possibles… c'est ce qui me fait aimer ce métier.

Cette semaine encore, J'ai eu l'occasion d'animer une séance de travail au cours de laquelle nous avons cartographié un flux de valeur. L'expérience était remarquable : l'enthousiasme du groupe était communicatif et nous allons immanquablement atteindre les objectifs fixés par la direction (qui par ailleurs est exemplaire dans son soutien à la démarche).

C'est ça l'intérêt du VSM. Qu'est-ce que peut bien apporter un "data-warehouse multidimensionnel avec des capteurs de radiofréquences" dans une telle démarche ? Rien. Pire, proposer de tels outils c'est laisser penser à des utilisateurs novices que le VSM se résume à tracer un dessin qui sera ensuite analysé par quelque ingénieur méthode ou logisticien pour proposer des améliorations. Et c'est passer à côté de l'essentiel que Rother et Shook ont parfaitement résumé dans le titre de leur livre "Learning to See" (apprendre à observer) qui introduit le VSM. C'est occulter toute la dimension humaine qui fait la richesse du VSM.

Quel outil est donc le plus approprié pour construire une VSM ? Dans l'exemple de cette semaine, nous disposions d'un grand tableau blanc et d'une série de marqueurs de couleur… D'autres fois, quand je ne dispose pas d'un tel tableau, j'utilise une grande feuille de papier kraft et une série "d'étiquettes repositionnables" (pour ne pas nommer une marque bien connue !) Et c'est tout. Le document reste affiché dans la salle de réunion aussi longtemps qu'on en a besoin. Si on veut le garder pour une utilisation ultérieure, on peut photographier le tableau… ou rouler (avec précaution !) la feuille de papier kraft… Dans certaines entreprises, on tient à remettre en forme le travail réalisé à l'aide d'un outil graphique plus ou moins adapté comme en proposent les bonnes suites bureautiques. Ce n'est pas important de mon point de vue puisqu'il s'agit de recopier le travail du groupe. La valeur ajoutée de VSM est dans le partage de l'observation d'un flux par les personnes qui le vivent au quotidien. Elle n'est pas dans la forme finale du document.

Je propose donc une question en conclusion : puisque le VSM sert à mettre en évidence ce qui n'apporte pas de valeur ajoutée, qu'on appelle aussi "gaspillage", comment pourrions-nous désigner un "data-warehouse multidimensionnels avec des capteurs radiofréquence" dans le cadre du processus de VSM ?

Commentaire(s) sur "Quel outil pour tracer une VSM ?"

  1. Merci Xavier pour cet article !

    J'avoue que moi aussi j'enrage à chaque fois qu'un outil informatique (et/ou technique) pointe le bout de son nez pour faciliter l'amélioration des processus. A mon sens c'est totalement antinomique et j'ai été stupéfait d'admiration quand j'ai vu un cas d'entreprise qui avait mis en place un programme de suppression des modules SAP.

    Je te rejoins totalement sur cet outil qui permettrait la cartographie du processus. Il est évident que le VSM va bien plus loin que la carte qu'il génère. C'est une formidable manifestation de l'intelligence collective. Mais c'est également une opportunité de tous grandir ensemble. C'est bien par des outils comme le VSM que l'organisation apprenante (Cf Peter Senge) se met en place... Et non pas par les échanges stériles que nous pourrions avoir sur le fruit de ce "data-warehouse multidimensionnels munis de capteurs radiofréquence". 😉

    Au plaisir de te lire.
    Florent

  2. Une fois de plus, Xavier fait mouche !
    Cet exemple est malheureusement transposable à de nombreux domaines de gestion où la prééminence de l'outil fait perdre de vue le BSP. Quelques illustrations:
    - l'automatisation des manutentions plutôt qu'une réimplantation "en ligne"
    - l'informatisation du kanban
    - l'ERP dont le paramétrage n'autorise pas l'utilisation d'un kanban "étiquettes"
    - les formations "utilisateurs" - ERP ou autres - faites par des instructeurs qui ne connaissent pas la logique des fonctionnalités attachées aux champs des menus qu'ils manipulent.
    Cohérence, Rigueur, Simplicité !!

  3. Bonjour Xavier,
    j'appellerai cela une usine à gaz qui n'appartiendrait à personne, qui masquerait les problèmes et qui ne déclencherait aucune action correctrice. En clair, un gaspillage d'énergie et d'argent

  4. Quel bonheur de lire que la réussite est d'abord dans la qualité du travail de groupe, c'est à dire dans l'enthousiasme, l'énergie et la pertinence qui s'en dégage.

    Il est hélas pas toujours évident de faire comprendre celà et il est souvent plus facile d'investir dans un outil informatique bien repéré dans un compte de résultat que dans du temps de mise en commun, qui lui ne s'amortit pas !

    Alors Xavier, merci pour deux choses :
    1- ton histoire est, comme toujours, agréable à lire et merveilleusement didactique.
    2- tu as rappelé l'importance de la motivation de la direction "exemplaire dans son soutien à la démarche" et je te suis reconnaissant de bien mettre en valeur ce point. Le succès d'une équipe, et celà ne s'applique pas qu'au VSM, c'est d'abord le partage, par tous, d'une même conviction.

  5. Je suis persuadé que si l'on pose les questions suivantes à ceux qui ont fait la VSM avec toi, ils seront répondre aux questions suivantes :

    - Quel était votre probléme ?
    - Qu'avez vous fait ?
    - Quel est le résultat ?

    Quand les acteurs savent répondre à ces questions, c'est que le management et le consultant ont donné envie de faire du "vraie" Lean !

  6. Bravo Xavier, c'est ce qui s'appelle allier l'esprit de finesse à l'esprit de géométrie! Le VSM est bien une démarche qui enrichit ses participants autant qu'elle optimise le flux analysé. Je proposerais bien "évaporateur de compétence" pour désigner un tel datawarehouse!

  7. Merci Xavier pour ce bel exemple, je te suis tout à fait. La démarche "humaine" est vraiment incontournable, c'est grace à elle que les états d'esprit peuvent changer, qu'une dynamique peut se mettre en place et durer bien au delà de notre présence (nous consultants).
    En ce qui concerne cette datawarehouse, elle me fait penser à l'engouement de certains DG pour les ERP : c'est technique, compliqué à paramétrer, lourd à maintenir, ça coûte cher : c'est un investissement sérieux... pas comme ces bricolos de consultants avec leur papier kraft gribouillé collé au mur, les étiquettes repositionables de travers qui se décollent et leur réunion ou tout le monde donne son avis !

  8. Bonjour,
    Le coeur de la démarche comme c'est écrit dans l'article est le gemba... actuellement sur un gros projet, nous attaquons la phase de partage terrain afin de réaliser notre cartographie. Loin de l'expérience de Xavier c'est un des moments que je préfére dans les projets, car c'est la phase de découverte pour tous, car on croyais que et puis non... les gens se parlent se découvrent et se rende compte que le vecteur communication et le principal outil.
    L'outil ainsi proposé n'est pas bien utile pour le travail de la VSM loin de là... je le trouve parfait pour installer un effet de refus au changement pour le personnel...
    Pour le nom je dirais processus RFID (Rien de Finalement Intelligent dans la Démarche...).

  9. Je suis ravi de voir que ce sujet suscite autant de commentaires ! Stéphane, j’adore ta définition de RFID !
    Plusieurs d’entre-vous font le parallèle avec l’utilisation des ERP. Je les suis tant il est vrai qu’il est souvent fait n’importe quoi de ces outils. J’ai d’ailleurs quelques idées d’articles à ce sujet… que je posterai ici dès que je trouverai le temps de les écrire ! Cependant, à propos des ERP, je ne les mets pas au même rang que les outils sensés faire des VSM tout seuls : on peut difficilement faire un CBN et l’intégrer avec le PDP et la gestion d’atelier sans un ERP de qualité.
    En 2003, j’avais publié cet article sur le sujet, où il était déjà question de VSM d’ailleurs : http://www.consulting-xp.com/telechargement-pdf/4.pdf

  10. Bonjour,
    Oui, quelle joie d'animer des VSM! Partager ensemble, découvrir la formidable capacité d'adaptation de l'homme qui cherche à faire au mieux avec ce qu'il a... Et découvre, souvent dans les rires, en faisant ce VSM ensemble, comme il est plus constructif de se mettre ensemble pour faire beaucoup mieux: plus fluide, moins fatigant et de manière plus joyeuse car c'est fait ensemble, en se faisant confiance.
    Alors quel outil?
    Je pratique également le papier ( de toute sorte-à ce propos, il existe du des rouleaux de papier tableau blanc autostatique-) et les étiqettes repositionnables+ la photo pour partager. Il faut reconnaître que la photo d'un VSM n'est pas un vecteur de communication terrible: oui, je vous entends trépigner: "emmenez donc les personnes à qui vous avez à montrer la photo on the gemba": certes, c'est l'idéal mais pas toujours accessible car, justement, tous ne sont pas encore acquis à la cause. Aussi, si au lieu de papier, on avait un très, parfois très très, grand écran pour dessiner avec un doigt ou un stylet, le VSM, on pourrait bénéficier de fonctions de calcul utiles, genre 5 secondes par caisse + 4 minutes par colis, + 30 minutes par jour....(ça ne vous ai jamais arrivé après une journée dense de partage terrain?:-)) et cette image serait projetable sur n'importe quel écran.
    On garderait alors complètement l'intérêt fondateur du VSM, en construisant ensemble l'existant; et, en plus, on pourrait emmener les concernés qui n'auraient pas pu être présents ( ex: responsables d'industrialisation ou informaticiens). Qu'ils aient été présents à la construction du VSM, ces derniers pourraient alors regarder et y réfléchir ce VSM pour savoir poser les bonnes questions et mieux s'impliquer dans la mise en place du flux cible, qu'en pensez-vous?

  11. Bonjour,

    Que manque-t-il pour que la puce RFID remplace l'homme ?

    Probablement le système proposé est-il très supérieur à l'homme dans sa capacité de saisie et de mémorisation des informations. En tout cas il peut le devenir.

    Mais il est totalement absent sur sa capacité d'intelligence, c'est à dire sur sa capacité à imaginer les améliorations possibles et réalistes dans un contexte donné, en interaction avec la complexité.

    Par les différentes étapes qu'elle fait vivre aux acteurs, la méthodologie VSM, comme beaucoup d'autres outils d'analyse, de mesure et de structuration, est aussi un processus de mise en situation créative. C'est d'ailleurs son réel intérêt Et là, quel bonheur quand on vit cette dynamique de curiosité de découverte, d'envies et d'implication de tous.

    C'est toujours dommage d'être confronté à la dure réalité des porteurs de boîte à outils qui confondent le but et les moyens.

  12. Bonjour,

    Félicitations Xavier!

    En effet, comme disait quelqu'un: "dessiner une VSM, c'est du waste! Ce n'est que quand on transforme le future state en réalité qu'on ajoute de la valeur!"

    Il ne parlait pas de la valeur "humaine" ou "culture entreprise" qui, comme tu le décris si bien, est un aspect oh tant important pendant "le" VSM. Malheureusement, cet aspect est trop souvent sous-estimé par des "techniciens" du Lean.

    Une VSM se fait en effet sur le terrain, avec du papier, un crayon et une gomme ou du "brown paper" et les petits papiers dont on ne cite pas le nom! Cela va plus vite, est plus correct et surtout: ne coûte pas cher! Pour ne pas parler de la flexibilité....

    Des logiciels, il en existe pour celui qui veut vraiment mettre cela "au propre" (pour n'importe quelle raison: un rapport, ...) ou qui a besoin de présenter une image propre pour cause d'éducation. Mais là aussi: le plus simple est le mieux. Il ne sert absolument à rien de passer un temps terrible à apprendre un logiciel et à l'appliquer pour faire du waste dans le sens propre du terme.

    Je suis donc tout à fait d'accord avec les remarques ci-dessus et "never forget: VSM is a TOOL, nothing more!". Le plus important est de faire quelque chose avec, par après!

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