15 avril 2022

La réduction des coûts permet-elle toujours de réduire le BFR ?

Par Xavier Perrin (xperrin@xp-consulting.fr)

Le fonds de roulement est défini comme la différence entre actifs à court terme et passifs à court terme. Cette définition n'est pas vraiment utile aux responsables industriels. Pourtant, gérer le fonds de roulement est crucial pour les entreprises car quand le Besoin en Fonds de Roulement (BFR) augmente, la trésorerie est diminuée, entrainant l'augmentation des emprunts à court terme.

Une façon plus concrète de se représenter le BFR est la notion de cycle d'exploitation ou cash-to-cash cycle time, le terme en anglais étant aujourd'hui le plus couramment employé dans nos entreprises.

La plupart des managers sont convaincus de la nécessité de réduire les délais. D'abord parce que des délais courts sont attendus par les clients et facilitent le respect des dates de livraison (Taux de Service Client ou On-Time-Delivery – OTD). De plus, ces managers savent que des délais qui augmentent signifient plus d'encours, et donc plus de BFR. Enfin, des années de promotion de l'approche lean production ont renforcé cette conviction.

Cependant, j'observe régulièrement des pratiques, principalement en matière de mesure de performance, qui sont en contradiction avec la réduction du BFR.

Les responsables industriels sont généralement incités à réduire les coûts. Ainsi, la plupart des indicateurs utilisés en production sont issus des méthodes classiques de comptabilité analytique, du processus budgétaire et de l'analyse du compte de résultats : coûts unitaires, taux horaires, taux d'utilisation, taux d'efficience, ou autres TRS (Taux de Rendement Synthétique). Bien sûr d'autres indicateurs sont utilisés pour mesurer la compétitivité, la gestion des ressources humaines, et les considérations environnementales. SQCDPE, pour Sécurité, Qualité, Coûts, Délais, Personnes (People), Environnement, est une structure habituelle des tableaux de management visuel et réunions d'équipe quotidiennes.

Cependant, pour revenir à la question du BFR, aucune des catégories de mesures listées plus haut n'incite à réduire le BFR ou le cycle d'exploitation ! Pour de nombreux managers, les indicateurs de coût et de délais sont directement liés au BFR. En fait, ils ne le sont pas du tout ! Réduire les coûts d'après ces indicateurs encourage l'augmentation des tailles de lot pour améliorer le TRS, à surproduire pour améliorer le taux d'utilisation des équipements, réduire les taux horaires et absorber les coûts indirects de production. Cela conduit inévitablement à l'augmentation du BFR.

Certes, mais ne considère-t-on pas aussi des indicateurs de délai, et les délais impactent directement le cycle d'exploitation ou le BFR ? En fait, le plus souvent, l'indicateur utilisé dans la rubrique "Délai" des tableaux de bord est le Taux de Service Client, ou OTD. D'abord, l'OTD n'est pas objectif spécifique de la performance d'une équipe donnée car il est le résultat de tous les facteurs qui affectent la supply chain, tels que la capacité à gérer la demande client, la capacité à planifier et ordonnancer les opérations, le respect des programmes de production, la performance des fournisseurs, etc. Ainsi, l'OTD ne mesure pas le résultat des décisions et des actes d'une équipe particulière, si ce n'est du Comité de Direction. Ensuite, l'OTD ne reflète pas la longueur des délais, il mesure juste la capacité qu'on a à les respecter. Enfin, l'OTD pousse les équipes à accélérer les productions en retard et à utiliser des règles de priorité, plutôt qu'à réduire les délais. En conséquence, on génère plus de variabilité et on ne réduit pas, voire on augmente, les délais moyens. En conclusion, les indicateurs de coût et de délai qu'on utilise généralement ne permettent pas de maîtriser et de réduire le BFR.

Alors, que doit-on mesurer pour orienter correctement les actions, c'est-à-dire, réduire les coûts ET le BFR ?

"Tout ce que nous faisons, c’est de surveiller le temps qui s’écoule, depuis le moment où le client passe commande, jusqu’à celui où nous encaissons l’argent. Et nous réduisons ce temps en éliminant tout ce qui est gaspillage et n’apporte pas de valeur ajoutée." Cette citation de Taiichi Ohno, ancien vice-président de Toyota Motor Corp. et créateur du TPS (Toyota Production System), résume brillamment sa vision qui sera plus tard formalisée par le MIT (Massachusetts Institute of Technology) dans le corpus lean production. Par ailleurs, elle nous donne la clé pour choisir les bons indicateurs pour maîtriser à la fois le BFR et les coûts. Le BFR, ou le cycle d'exploitation, est d'abord une question de délai. Donc il est nécessaire de mesurer, dans chaque service, le temps entre le moment où on démarre et où on termine un produit ou une activité. C'est ce qu'on appelle le Temps de Traversée (ou encore : Temps d'Ecoulement ou Temps de Passage). Les Temps de Traversée, non seulement impactent le BFR, mais si on considère la différence entre la somme des Temps de Traversée d'un produit et la somme du pur temps de travail pour réaliser ce produit, ils mettent en évidence les activités sans valeur ajoutée (Muda ou gaspillages) et leurs coûts associés. Ainsi, le Temps de Traversée devrait être utilisé comme mesure globale de réduction des coûts et des délais. Toutes les actions devraient être évaluées quant à leur impact sur les Temps de Traversée. On doit aussi éviter de mesurer la productivité localement, car augmenter la productivité d'une ressource spécifique sans en considérer les effets sur les autres ressources désynchronise les flux et génère des stocks. Il est préférable de mesurer la productivité globale comme le temps total travaillé par les employés affectés à un flux de valeur divisé par la quantité réellement produite pendant la période. Cette façon de mesurer la productivité est appelée kosu.

En conclusion Le cycle d'exploitation et le BFR montrent la capacité d'une usine à maîtriser et accélérer ses flux. Maîtriser et accélérer les flux nécessite d'identifier les obstacles à l'écoulement du flux physique des produits. Eliminer ces obstacles élimine les coûts associés. À l'inverse, considérer analytiquement les facteurs de coûts "locaux" désynchronise les activités et dégrade les flux. Cela augmente les délais, le BFR, et les coûts ! Abandonner ces pratiques utilisées depuis des décennies est certes difficile. Cela commence par la compréhension de ces mécanismes. J'espère que cet article pourra contribuer à cette prise de conscience !

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